dimanche 20 janvier 2013

Epilogue



Déjà deux ans depuis notre retour. Et pourtant le souvenir de ces six mois de marche est profondément ancré en nous.
En rentrant, on se croit transformé. Puis très vite par nécessité et par adaptabilité, le quotidien reprend le dessus : trouver un appartement, retourner au travail, optimiser ses trajets en métro...
Malgré trois semaines de réadaptation à notre retour, nous avons le sentiment de laisser derrière nous une page de notre vie que seuls ceux qui voyagent savent lire et apprécier à sa juste valeur. Pour les autres, nous avons eu six mois de vacances.
On nous demande souvent ce qu'il nous reste aujourd'hui de cette aventure. Je vais tenter de dresser une petite liste non exhaustive :
- une lecture assidue et passionnée de Carnets d'Aventures
- un long processus d'allègement pour marcher plus léger
- une redéfinition du futile et de l'essentiel
- une prise de conscience profonde de la pauvreté et des inégalités dans le monde
- une prise de conscience profonde de la gentillesse désintéressée
- une longue liste de projets de voyage
- une irrésistible envie de repartir, que ce soit pour une semaine, un mois, un an…
Je ne me suis jamais senti aussi libre que pendant ces six mois. Une fois que l'on a gouté à pareille liberté, on en veut forcément une autre part.
Bien sûr la donne est truquée. Cette liberté n'existe que dans un espace-temps délimité où l'on peut s'affranchir des contraintes matérielles.
"La liberté existe toujours, il suffit d'en payer le prix" disait Henry de Montherlant. L'errance ne coûte certes pas bien cher mais elle n'est pas gratuite.
Il est possible de partir plusieurs mois voire plusieurs années en acceptant de réduire son niveau de vie. Mais une vie de cueilleur-pécheur serait une régression vers l'homo erectus. Je n’ai que trop conscience qu’il faut lutter contre l'entropie, ne serait-ce que pour compenser notre impact et ne pas faire de l'errance et de la liberté qu'elle procure une oisiveté nauséeuse.
La plus belle maison du monde ?
 Marcher, c'est l'éloge de la lenteur. Savoir voyager en prenant son temps. C'est tout le contraire de ce que nous faisons tout le reste du temps. Il faut entrer dans un espace-temps où les heures s’égrènent au rythme de ses pas. Il m’aura fallu un congé de longue durée pour y arriver, mais ce n'est pas une fin en soi.
Je sais aujourd'hui qu'il n'est pas nécessaire de parcourir 9000km et de partir 6 mois pour atteindre le sentiment de liberté qui vous envahit sur les chemins. Il est là dans la promenade de l'après-midi, dans les semaines de vacances et de randonnées qu'on se programme. Pour les plus forts d'entre nous, il peut être dans un simple WE à la maison, mais je n’ai pas encore cette capacité.
Voilà donc en résumé ce qu'il me reste : des souvenirs, des envies, et des prises de conscience. L'envie irrésistible de recommencer, d'une manière ou d'une autre, d'alterner les rythmes au cours de ma vie sans oublier que l'essentiel se trouve parfois le long d'un chemin de terre : un lit, un repas, un sourire au tournant. Et comment conclure sans rendre hommage à cette nature peu rancunière qui sait que le temps effacera les traces de notre passage et qui nous invite au respect ?

Phnom Penh, octobre 2012